Née contente à Oraibi by Bérengère Cournut

Née contente à Oraibi by Bérengère Cournut

Auteur:Bérengère Cournut [Cournut, Bérengère]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782370552099
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


10

Mon frère s’appelait désormais Mahukisi, comme la cigale mythologique autrefois cachée dans l’abri aux serpents. Ce nom lui venait certainement de ses séjours dans les cavernes, mais il n’était pas permis de parler de ces choses-là, sous peine de briser le tabou de l’initiation. Mahukisi passait maintenant le plus clair de son temps à Walpi, avec les membres de la société du Serpent. Ses bêtes avaient été confiées au mari de l’une de nos sœurs et il ne revenait plus chez nous qu’à l’occasion des cérémonies.

Un jour, sans que personne ne s’y attende, il est arrivé accompagné d’une petite amie, avec qui il parlait déjà de Se marier. Notre vieille Itangu l’a félicité pour ce beau projet, tout en lui suggérant de prendre son temps. Quelques lunes plus tard, il est revenu sans elle : il avait changé d’avis. À sa visite suivante, il était accompagné d’une autre fiancée, mais en discutant avec elle, ma mère s’est aperçue qu’elle était du clan du Blaireau, lié à celui du Papillon - il ne pouvait être question d’union entre eux. Ils sont repartis à Walpi bons camarades. Mahukisi en a encore amené deux comme ça, puis une cinquième, qui a semblé être la bonne. Après quelques visites, les jeunes amoureux ont fait un long séjour chez nous afin de préparer la cérémonie du mariage.

La première chose à faire était de confectionner les vêtements de noces. Cela a pris un temps considérable, car mon frère était un exécrable tisseur. À l’âge où les garçons apprennent en regardant faire les aînés dans la kiva, lui avait fui le confinement et la compagnie de notre père. Mes oncles devaient désormais lui réapprendre jusqu’aux gestes de base. Souvent, mon frère manquait de patience et quittait la kiva en colère. Le soir, à l’heure où il allait prendre le frais avec sa fiancée, les hommes rassemblés chez nous se lamentaient : cardage, filage, tissage, Mahukisi n’était bon à rien ! L’un de nos oncles, qui s’occupait particulièrement de lui, critiquait sa maladresse, sa paresse et son caractère de punaise. Les autres se taisaient, songeant qu’ils auraient sans doute pu s’occuper mieux de lui quand il était plus jeune... L’ombre de mon père, excellent artisan mais caractère farouche, pesait sur ces discussions sans jamais qu’il y soit fait allusion.

Le seul à ne pas partager ce désarroi et cette gêne était le père de ma mère. Il avait souvent travaillé avec mon père à des pièces de famille et savait qu’il lui était difficile de transmettre quoi que ce soit par la parole. Il savait également qu’à l’époque mon père et mon frère se méfiaient l’un de l’autre, et que seul le temps leur aurait peut-être permis de mieux se comprendre, se connaître et se respecter. Ce temps avait manqué, personne n’en était responsable aujourd’hui. Un soir que les autres hommes du clan avaient largement exprimé leur sentiment d’impatience et de frustration à l’égard de mon frère, le père de ma mère a simplement encouragé chacun à reprendre le travail chaque jour comme s’il s’agissait du premier.



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